Sèverine Harzo

Journaliste et autrice

Vivienne Westwood, Trees save lives, Rainforest Special, Marie Claire, 2011

Trees save lives,
Partenariat Marie Claire / Vivienne Westwood / People Tree
J’ai rencontré Vivienne Westwood à plusieurs reprises pour la réalisation d’un dossier sur la mode et l’environnement. On s’était croisé une première fois à Paris où elle participait à une conférence, puis dans son atelier à Londres pour préparer un shooting mode, et enfin, à Londres encore, dans le studio photo du West End de son ami, chanteur et photographe, Bryan Adams. C’est dans sa cuisine que Vivienne a répondu à mes questions. Rebelle toujours, provocatrice parfois, elle a évoqué ses doutes, ses inquiétudes et ses choix avec calme et détermination. Elle a aussi parlé livres, peinture, et musique… parce que l’art est ce qui la nourrit et que, selon elle, c’est ce qui nous sauvera. Ou pas. Mais ce sera toujours ça de pris.

Vous me connaissez en tant que créatrice de mode, mais je suis aussi une lectrice et une grande amatrice d’art. L'époque dans laquelle nous vivons est dangereusement dépourvue de culture et je lie ça au désastre écologique qui s’annonce et dont nous vivons déjà les prémices... Si vous devenez amateur d'art et lecteur, vous cessez de vous engager dans le monde de la consommation, vous n'êtes plus une victime de la propagande. Le plus grand danger de la propagande est la distraction permanente, tout ce qui empêche les gens de penser. La culture, c’est l'antidote à la propagande et à la publicité !
Nous sommes aujourd'hui à l'ère des spécialistes. Ces gens qui en savent de plus en plus sur de moins en moins. Peu d'entre nous comprennent réellement ce qu’ils racontent. En conséquence, nous vivons dans une conformité d'opinion massive et ce qui caractérise une civilisation en déclin, c’est la conformité. Si nous pensons tous la même chose, nous ne pensons pas !
Et puis, j'ai eu le choc du changement climatique…

Qu’est ce qui vous en a fait prendre conscience?

Depuis de nombreuses années, je suis bouleversée par le fait que l'on abatte la forêt vierge brésilienne et toutes les forêts tropicales du monde. Puis j'ai eu un vrai choc en lisant une interview de James Lovelock il y a environ 4 ans. James Lovelock est un génie centenaire, auteur de la théorie Gaia qui est, à mon avis, aussi importante que celle de Darwin - plus encore, car nous devons agir en conséquence. James a choisi ce nom de Gaia pour que nous considérions la terre comme une personne, comme un être vivant : Gaia, la terre mère. Selon lui, la terre est autorégulatrice, elle contrôle sa propre atmosphère en manipulant la biosphère... D’après ses hypothèses, il va faire tellement chaud d'ici une ou deux générations que presque toute la surface de la terre sera inhabitable ! Gaïa survivra, mais ses enfants mourront.
Mais on peut faire encore plus simple : si je suis un arbre, en tant qu’arbre, qu’est-ce que je dégage ? De l'oxygène ! Et de quoi je me nourris ? Je me nourris de CO2 (dioxyde de carbone). Grâce à la lumière, je fabrique des hydrates de carbone, dont nous les humains avons besoin pour vivre! Et nous respirons l’oxygène ! Alors pourquoi détruisons-nous ce qui nous donne la vie ? Pourquoi sommes-nous assez stupides pour nous détruire nous-mêmes ?

Vous êtes très passionnée par le changement climatique, mais vous êtes aussi créatrice de mode…

C’est vrai, mais la première vraie question c'est : "Que peut faire une seule personne ?" La première chose que vous pouvez faire est de vous informer. Il y a tellement d'informations qui circulent, les nouvelles vont et viennent. Informez-vous autant que possible, parlez aux gens, faites pression sur les politiciens. Par exemple, une forte pression devrait être exercée en particulier sur les compagnies pétrolières qui font des dégâts terribles et s’en tirent sans même réparer !

Comment avez-vous réagi après la catastrophe pétrolière dans le golfe du Mexique?

Il devrait y avoir un moratoire sur le forage pétrolier en eaux profondes. Les pays du Nord comme les États-Unis, le Canada et la Russie ne devraient pas discuter de la question de savoir à qui appartient l'Arctique et son pétrole. Les ressources devraient appartenir au monde entier ! Nous ne devrions utiliser que les réserves de pétrole accessibles, tout en développant des sources d'énergie alternatives durables avant qu'il ne soit trop tard.

Revenons à vous : en tant que créateur de mode, quels changements pouvez vous mettre en place ?

La première chose est de promouvoir l'idée du "Do it yourself". Inutile d’acheter un manteau, on peut prendre une serviette de toilette dans la salle de bain pour en faire un châle. Les enfants peuvent porter le caleçon ou la chemise de leur père, peu importe ! On peut utiliser un pull comme pantalon ou fabriquer son propre t-shirt en y épinglant une photo de son chat glissée dans une pochette plastique !

Mais tout le monde n'est pas aussi créatif que vous ! Ce que vous dites est en contradiction avec l'industrie de la mode. La mode, c'est l'automne, le printemps, l'été, la première ligne, la deuxième ligne, la nouveauté, le dernier it-bag...

Ce que je dis vraiment c'est : "Achetez moins et choisissez bien“. Choisissez la qualité plutôt que la quantité. Je ne crois pas que la croissance soit acceptable si elle signifie que l'avantage de l'un se fait au désavantage de l'autre. Nous avons épuisé le monde, et la plus grande preuve du réchauffement climatique est la crise financière mondiale, qui en est le miroir. Aujourd'hui, le modèle économique de ma ligne Gold Label est construit sur la quantité. Pour chaque dessin que je fais, mes employés travaillent à le développer pour d'autres lignes. Et je déteste tout cela ! Presque tout le monde dans la mode est à bord d’un train emballé qui produit trop de choses - mais c'est ainsi que fonctionne le secteur de la mode aujourd'hui. J'essaie de faire des vêtements et des accessoires de qualité qui valent la peine d'être achetés.  J’essaie de ralentir et de me concentrer sur la qualité. Pourtant, pour rester en bonne santé, toutes les entreprises doivent se développer.  Ma société est sur le point d'ouvrir un magasin en Chine, un autre à Los Angeles… Cela implique plus de voyages, plus de transports.  Vous pouvez utiliser des transports maritimes propres (on dit que la pollution des transports maritimes est responsable de 50% de la fonte des glaces). J’essaie de faire en sorte que mes employés prennent moins l'avion et restent plus longtemps à chaque fois qu'ils voyagent. C'est plus humain, surtout s'ils en profitent pour visiter une galerie d'art...

Mais vous êtes dans ce train là, vous avez le pouvoir de l’arrêter !

Je ne peux pas ! La seule chose que j'ai le pouvoir de faire est de fermer mon entreprise, c'est tout ce que je pourrais faire ! Je ne l'ai encore jamais sérieusement envisagé. Si les gens achetaient moins de vêtements et les choisissaient mieux... Le monde changerait, les gens commenceraient à comprendre ce qu'est le rapport qualité-prix et ils sortiraient peut-être de cette spirale de consommation de vêtements ! J'ai la chance de pouvoir avoir ou ou de pouvoir emprunter des tas de vêtements (ceux que je crée). Pourtant, je porte toujours les mêmes, ceux que j'ai choisis il y a dix ans. Quand je trouve quelque chose que j'adore, je le porte encore et encore.

Donc pour limiter le réchauffement climatique, votre conseil c’est : consommer autrement…

Mais oui, nous pourrions prendre moins l'avion, utiliser moins de carburant. Apparemment, l'un des moyens les plus efficaces serait de changer notre régime alimentaire et de ne pas manger ou de manger moins de viande. Paul McCartney a lancé une campagne "lundi sans viande", cela pourrait faire une différence incroyable. Si vous changez votre régime alimentaire, vous vous engagez pour le monde...

Si James Lovelock était là, avec nous, aujourd’hui, que croyez-vous qu’il dirait?

Il dirait: “Il est trop tard ! Faisons la fête !“

C'est déprimant !

Lovelock est très philosophe et il espère que les humains évolueront vers quelque chose de plus merveilleux que ce qu'ils sont aujourd'hui. Il dit aussi que Gaia n'aura plus jamais la chance de produire quelque chose comme nous. Il y avait un programme fantastique sur la BBC Radio 4 (avec le British Museum) "L'histoire du monde en 100 objets", 15 minutes chaque jour, c'est devenu un grand livre (par Neil Mac Gregor). L'histoire de l'humanité est rythmée par notre ingéniosité, nous découvrons une invention après l'autre. L'une des premières émissions portait sur la pierre taillée, que les gens utilisaient pour couper la viande, sculpter le bois, creuser des trous ou se défendre contre les animaux. Ces pierres ont 2 millions d'années ! Il y avait donc des gens comme nous il y a 2 millions d'années, l'espèce humaine n'est pas qu'une petite anomalie dans l'histoire de l'évolution !

        Sérieusement, que pouvons nous faire ?

Connaissez-vous l'expression "Get a life !", "Don't give me a hard time, get a life !“ (littéralement “Ne m’emmerde pas, construis ta vie“) ? J'aimerais faire une série télévisée intitulée "Get a life !". Cette expression fonctionne à deux niveaux. Premièrement, il s'agit de s'assurer que nous avons un monde habitable pour les générations futures et, deuxièmement, il pose la question suivante : "Comment pouvons-nous tirer le meilleur parti de nos vies dès maintenant ?". Pour avoir une vie, les gens doivent aller dans les galeries d'art, écouter de la musique, aller au théâtre, lire des livres. Si vous vivez à la campagne, vous pouvez apprendre le nom des plantes et des animaux. Tout cela donne de la culture. Mais le fait est que vous devez acquérir cette connaissance, cette culture. La gagner. La construire. Elle ne vient pas toute seule sur un plateau. Chaque fois que vous lisez un livre, vous faites quelque chose qui affine votre vision du monde. Chaque fois que vous regardez une peinture, c'est un nouveau regard sur la vie. Aucun professeur ne peut vous l’apprendre, vous devez le vivre vous-même, en faire l'expérience. La culture vous donne un ancrage incroyable dans la vie et aussi beaucoup de plaisir. Chaque fois que je cherche un mot dans le dictionnaire, je suis heureuse, j'apprends quelque chose, c'est une vraie satisfaction, c'est comme de la nourriture ! Et c’est votre vision du monde qui change...

Pour finir sur une note positive, imaginons que chacun puisse faire la différence. Quel serait votre dernier mot…

Le temps est un luxe. Ne restez pas assis sans rien faire. Investissez-vous dans quelque chose. Battez-vous pour quelque chose, même si ce n'est pas le changement climatique. Quoi que ce soit. Peu importe. Vous commencerez à créer des liens. Ma devise c’est: “on récolte ce que l’on sème“…