Patrick Willocq, Les reines captives du Congo, Marie Claire, 2015
Émission The 51%, Annette YoungPartenariat France 24
2015
2015
C’est en Arles, dans une fête organisée par le Galerie Huit que j’ai
rencontré Patrick Willocq. Son travail sur les femmes Walé du Congo
était alors exposé dans le cadre des Rencontres Photographiques. Il
connait bien le Congo. Il y a grandi. Après avoir accepté un poste de
cadre dans une multinationale en Asie, il décide de retourner en Afrique
et s’installe à Kinshasa pour se consacrer à la photographie. Alors
qu’il est en reportage dans la forêt, il croise une femme en rouge qui
l’intrigue. C’est une walé. Il passe 6 semaines auprès de 13 walés,
vivant avec elles quasiment au quotidien. Il assiste à la très
spectaculaire “cérémonie de sortie“ de l’une d’entre elle et forme alors
le projet de témoigner de ce moment fort et de ce qu’elles expriment à
travers leurs chansons. Martin Boilo, un ethnomusicologue spécialiste du
rituel walé, l’aide à déchiffrer leurs chansons, première étape à la
mise en scène des histoires qu’elles racontent et auxquelles Patrick
Willocq décide de donner vie en image. Aidé d’un artiste plasticien
congolais et des villageois, il construit des petits tableaux grandeur
nature qu’il photographie. Son projet est devenu un projet communautaire
immortalisant une tradition amenée à disparaître.
LES REINES CAPTIVES DU CONGO
À la naissance de leur premier enfant, sur décision de leur père, les jeunes mères Pygmées deviennent « walé » (littéralement « femme qui allaite ») et vivent recluses sous l’étroite surveillance de leurs proches. Un statut honorifique et prestigieux qui les cantonne pendant quelques années à s’occuper uniquement de leur enfant. La réclusion prend fin lors d’une cérémonie de sortie où la walé, reine d’un jour, chante ses joies, ses peines et ses espoirs. Fasciné par ces chants, le photographe Patrick Willocq a voulu leur donner vie, les mettant en scène dans des images qui, tels de petits tableaux, révèlent l’intimité de ces femmes à un moment crucial de leur existence.
Au début de sa réclusion, Asongwaka, 21 ans, avait l’impression d’avoir été jetée en prison. Lorsque les autres femmes quittaient le village pour aller travailler dans les champs, elle se sentait terriblement seule et s’ennuyait. Les six premiers mois de la réclusion sont les plus difficiles. Une fois le bébé né, la walé quitte son mari pour rejoindre la case de sa mère dont elle ne peut sortir. Elle va y recevoir son initiation de mère et de femme. Les règles s’assouplissent par la suite, elle peut aller et venir, à condition toutefois d’être accompagnée de ses « gardes du corps » (sœurs, tantes, jeunes filles ou fillettes de son entourage) car il doit toujours y avoir des témoins qui surveillent ses rencontres surtout avec des hommes. Les walés doivent en effet respecter de nombreux interdits: ne pas avoir de rapports sexuels, ne pas s’entretenir seule avec des hommes, ne pas travailler, ne pas sortir en dehors du village, ne pas servir à manger, ne pas faire la cuisine… Il s’agit d’éviter tout ce qui peut être contaminé par la présence de sperme dont les Pygmées pensent qu’il empoisonne le lait maternel.
C’est l’honneur de la famille, du clan, qui est en jeu. Plus la walé respectera ses règles avec zèle, plus elle-même et son clan gagneront en prestige. Elle est alors considérée comme un roi dont elle a tous les attributs : le fard rouge dont son visage et son corps sont enduits, les bracelets de cuivre, le chasse-mouche, le “tipoy“ (chaise à porteur)… Ses “gardes du corps“ travaillent pour elle, l’entretiennent, veillent sur sa sécurité et sa santé et s’occupent de ses repas. La walé peut ainsi se consacrer à son rôle de mère et à l’allaitement de son nouveau-né. La nourriture qu’on lui sert, ainsi qu’à son enfant, est de meilleure qualité non seulement pour leur santé mais aussi parce qu’une walé doit être dodue, féconde et séduisante. Vivant à demi-nue, elle attise ainsi davantage le désir des hommes auxquels elle aura d’autant plus de mérite à résister, respectant ainsi l’interdit sexuel.
Le rôle du mari de la walé n’est pas facile à tenir. Pendant la période de réclusion, il doit veiller à l’entretien de la walé et trouver l’argent qui permettra de financer la cérémonie de sortie de réclusion de cette dernière. En plus des frais d’organisation de la cérémonie (danseurs, chanteurs et cadeaux divers aux notables du village), il doit constituer la « valise » qui procurera à la walé tout ce dont elle aura besoin pour vivre sa vie de femme : effets personnels, chaussures, vêtements… Or la situation économique en RDC est catastrophique. Traditionnellement chasseurs-cueilleurs, les Pygmées allaient vendre en ville le fruit de leur récolte mais aujourd’hui la déforestation et l’état des infrastructures les obligent à s’installer momentanément en ville où ils ont du mal à trouver du travail. Les périodes de réclusion s’allongent, favorisant la polygamie. Parfois, le mari ne revient pas et c’est alors à la famille ou à un nouveau prétendant de financer la sortie de réclusion. En attendant, la walé reste soumise aux interdits. En l’espace d’une génération, la période de réclusion s’est considérablement allongée. Il y a peu, certaines walés ne passaient que 6 mois en réclusion (l’équivalent d’un congé maternité). Aujourd’hui, nombreuses sont celles qui ne peuvent en sortir avant 5 longues années.
La cérémonie de sortie de réclusion est donc plus que jamais l’apothéose du rituel de la walé. Elle s’y prépare des mois durant, mettant tout d’abord au point sa chorégraphie et ses chansons, puis répétant chaque jour, afin que son spectacle soit parfaitement rodé pour le jour J. La fête a toujours lieu un dimanche en début d’après-midi, la walé passant la matinée à se préparer dans la case maternelle où l’on s’affaire autour d’elle. Plusieurs centaines de personnes venues des alentours (parfois lointains) assistent à la cérémonie. Trois heures durant, la walé se raconte en danses et en chansons, parfois seule, parfois accompagnée. Elle se glorifie, vante ses mérites et se compare avec humour aux autres walés qui, de tout eévidence, ne la valent pas. Le but de son spectacle est de montrer à tous qu’elle a plus de prestige que ses rivales, l’honneur de son clan en dépend. L’intensité de la fête va croissant avec la musique, l’alcool circule… À la fin de la journée, vient le moment tant attendu de l’épreuve finale de la cérémonie. La walé est placée dans une nacelle qu’un système de lianes et de contrepoids projette en l’air à plusieurs mètres du sol. Elle est alors enfin libre, les interdits sont levés. Dans les jours qui vont suivre, elle reprendra une vie normale et repartira travailler dans les champs avec les autres femmes du village.
LES REINES CAPTIVES DU CONGO
À la naissance de leur premier enfant, sur décision de leur père, les jeunes mères Pygmées deviennent « walé » (littéralement « femme qui allaite ») et vivent recluses sous l’étroite surveillance de leurs proches. Un statut honorifique et prestigieux qui les cantonne pendant quelques années à s’occuper uniquement de leur enfant. La réclusion prend fin lors d’une cérémonie de sortie où la walé, reine d’un jour, chante ses joies, ses peines et ses espoirs. Fasciné par ces chants, le photographe Patrick Willocq a voulu leur donner vie, les mettant en scène dans des images qui, tels de petits tableaux, révèlent l’intimité de ces femmes à un moment crucial de leur existence.
Au début de sa réclusion, Asongwaka, 21 ans, avait l’impression d’avoir été jetée en prison. Lorsque les autres femmes quittaient le village pour aller travailler dans les champs, elle se sentait terriblement seule et s’ennuyait. Les six premiers mois de la réclusion sont les plus difficiles. Une fois le bébé né, la walé quitte son mari pour rejoindre la case de sa mère dont elle ne peut sortir. Elle va y recevoir son initiation de mère et de femme. Les règles s’assouplissent par la suite, elle peut aller et venir, à condition toutefois d’être accompagnée de ses « gardes du corps » (sœurs, tantes, jeunes filles ou fillettes de son entourage) car il doit toujours y avoir des témoins qui surveillent ses rencontres surtout avec des hommes. Les walés doivent en effet respecter de nombreux interdits: ne pas avoir de rapports sexuels, ne pas s’entretenir seule avec des hommes, ne pas travailler, ne pas sortir en dehors du village, ne pas servir à manger, ne pas faire la cuisine… Il s’agit d’éviter tout ce qui peut être contaminé par la présence de sperme dont les Pygmées pensent qu’il empoisonne le lait maternel.
C’est l’honneur de la famille, du clan, qui est en jeu. Plus la walé respectera ses règles avec zèle, plus elle-même et son clan gagneront en prestige. Elle est alors considérée comme un roi dont elle a tous les attributs : le fard rouge dont son visage et son corps sont enduits, les bracelets de cuivre, le chasse-mouche, le “tipoy“ (chaise à porteur)… Ses “gardes du corps“ travaillent pour elle, l’entretiennent, veillent sur sa sécurité et sa santé et s’occupent de ses repas. La walé peut ainsi se consacrer à son rôle de mère et à l’allaitement de son nouveau-né. La nourriture qu’on lui sert, ainsi qu’à son enfant, est de meilleure qualité non seulement pour leur santé mais aussi parce qu’une walé doit être dodue, féconde et séduisante. Vivant à demi-nue, elle attise ainsi davantage le désir des hommes auxquels elle aura d’autant plus de mérite à résister, respectant ainsi l’interdit sexuel.
Le rôle du mari de la walé n’est pas facile à tenir. Pendant la période de réclusion, il doit veiller à l’entretien de la walé et trouver l’argent qui permettra de financer la cérémonie de sortie de réclusion de cette dernière. En plus des frais d’organisation de la cérémonie (danseurs, chanteurs et cadeaux divers aux notables du village), il doit constituer la « valise » qui procurera à la walé tout ce dont elle aura besoin pour vivre sa vie de femme : effets personnels, chaussures, vêtements… Or la situation économique en RDC est catastrophique. Traditionnellement chasseurs-cueilleurs, les Pygmées allaient vendre en ville le fruit de leur récolte mais aujourd’hui la déforestation et l’état des infrastructures les obligent à s’installer momentanément en ville où ils ont du mal à trouver du travail. Les périodes de réclusion s’allongent, favorisant la polygamie. Parfois, le mari ne revient pas et c’est alors à la famille ou à un nouveau prétendant de financer la sortie de réclusion. En attendant, la walé reste soumise aux interdits. En l’espace d’une génération, la période de réclusion s’est considérablement allongée. Il y a peu, certaines walés ne passaient que 6 mois en réclusion (l’équivalent d’un congé maternité). Aujourd’hui, nombreuses sont celles qui ne peuvent en sortir avant 5 longues années.
La cérémonie de sortie de réclusion est donc plus que jamais l’apothéose du rituel de la walé. Elle s’y prépare des mois durant, mettant tout d’abord au point sa chorégraphie et ses chansons, puis répétant chaque jour, afin que son spectacle soit parfaitement rodé pour le jour J. La fête a toujours lieu un dimanche en début d’après-midi, la walé passant la matinée à se préparer dans la case maternelle où l’on s’affaire autour d’elle. Plusieurs centaines de personnes venues des alentours (parfois lointains) assistent à la cérémonie. Trois heures durant, la walé se raconte en danses et en chansons, parfois seule, parfois accompagnée. Elle se glorifie, vante ses mérites et se compare avec humour aux autres walés qui, de tout eévidence, ne la valent pas. Le but de son spectacle est de montrer à tous qu’elle a plus de prestige que ses rivales, l’honneur de son clan en dépend. L’intensité de la fête va croissant avec la musique, l’alcool circule… À la fin de la journée, vient le moment tant attendu de l’épreuve finale de la cérémonie. La walé est placée dans une nacelle qu’un système de lianes et de contrepoids projette en l’air à plusieurs mètres du sol. Elle est alors enfin libre, les interdits sont levés. Dans les jours qui vont suivre, elle reprendra une vie normale et repartira travailler dans les champs avec les autres femmes du village.