Sèverine Harzo

Journaliste et autrice

Nino Cerruti in 6 Chapters, Cerruti 1881, 2022




À l’été 2020, il y avait déjà dans l’air un vague projet de réaliser une interview de Nino Cerruti que le second confinement a définitivement compromis. Le temps a passé. Les uns et les autres ont eu plus ou moins de mal à remettre les choses en ordre de marche. Le projet restait en suspens avec cependant un certain sentiment d’urgence du à l’âge avancé du grand homme. De fait, Nino Cerruti s’est éteint à Verceil, dans le Piémont, le 15 Janvier 2022. Je n’aurai donc pas eu la chance de le rencontrer. Pourtant, j’ai sûrement croisé sa longue silhouette dégingandée, du côté de la Madeleine, au début des années 90, alors que je faisais mes premiers pas de journaliste, à une rue de sa maison. Est-ce le rendez-vous manqué ? Le sentiment de proximité toute relative ? J’étais présente à l’hommage qui lui a été rendu, le 10 Mars suivant, à l’église de la Madeleine, à Paris. Les mots de celles et ceux qui ont témoigné m’ont émue. Le poème de Charles Bukowski, “Style“, si juste, transmis par son fils Julian, m’a intriguée. Qui était cet homme à l’élégance souple et aristocratique que l’on évoquait avec les vers rugueux, âpres et sensibles d’un Bukowski.
L’idée a alors germé de poursuivre le projet, envers et contre tout. D’aller à sa rencontre, en dépit du destin, à travers ses proches, famille et collaborateurs, à Paris et à Biella, sa ville d’origine, là où, depuis 1881, est implantée la fameuse filature Lanificio F.lli Cerruti. Plus nous creusions et plus l’envie était forte de le faire connaitre aux générations qui ne l’ont pas connu et de le rappeler aux autres, qui l’ont oublié.

Cette courte vidéo est un début, l’ébauche à grands traits du portrait de cet homme exceptionnel que nous souhaitons faire dans les mois qui viennent. Nous l’avons construite autour des six mots qui sont le plus revenus sur les lèvres de nos interlocuteurs à l’évocation du personnage :

Le “style“ fait référence à son élégance fluide si particulière où l’imperfection a sa place, où les genres se mêlent, où il est question d’aisance, de confort et où finalement ce qui importe n’est pas ce que l’on porte mais comment on le porte.
La “vision“ vient ensuite. Nino Cerruti aurait voulu être journaliste. Curieux de tout, il voyait toujours plus loin : la recherche et l’innovation au cœur et au-delà de la filature, l’évolution des mœurs et celle de la mode qui va avec, l’influence du sport, du cinéma, des célébrités…et l’importance déterminante de la création.
L’“excellence“ était une quête absolue qu’illustre particulièrement les heures passées à l’étape du finissage, à observer, à toucher les tissus.
Le “business“ parce qu’il était aussi un entrepreneur, un industriel avisé et attentif, “gentilhomme“, qui a considérablement développé l’entreprise familiale.
La “passion“ évidemment, pour la vie, pour les belles choses, qui animait sa curiosité de tout et de tous.
Et enfin la “transmission“, tant l’échange et le partage des connaissances et de l’expérience sont, chez lui, fondateurs.

Ces six mots, s’ils nous ont paru cruciaux, n’en demeurent pas moins extrêmement  limitants, parfois même exigus, pour cerner la personnalité riche et complexe de Nino Cerruti. Il reste encore tant de choses à apprendre et à raconter sur cet homme que nous découvrons, à chaque pas, plus multiple.


Le film a été projeté en avant première à l’Ambassade d’Italie, dans les salons de l’Hôtel de la Rochefoucauld-Doudeauville, à Paris, le 2 Juin 2022, participant ainsi à l’hommage rendu à Nino Cerruti à l’occasion de la Fête de la République italienne.



Merci à Claire Landrau, Bertrand Houard, Favio Vinson.