LES ORTIES
miscellanées photographiquesD’abord, il y a la photo qui capte une ombre fugitive, une silhouette, un mouvement, un reflet… Elle est souvent imparfaite : floue, sous ou sur-exposée, hors cadre. Moins elle en dit et plus elle parle. Parfois, elle révèle un souvenir, d’autres fois une réflexion où il peut être question de la difficulté d’écrire. L’histoire qui émerge souvent picote. Elle émeut, elle dérange, elle est inconfortable… Mais quand elle résonne, elle panse.
Édition originale tirée à 100 exemplaires numérotés de 1 à 100 et signés par l'autrice.
Soft cover 16,5 x 24
84 pages
ISBN 979.10.415.1176.1
40 € (hors frais d’envoi)
Le tirage de tête est constitué de 10 exemplaires signés et numérotés de 1 à 10, illustrés chacun d'un tirage original noir et blanc sur papier japonais Inbe white 125 g (fibres de chanvre et de kozo) 19,4 x 15 signé par l'autrice.
150 € (hors frais d’envoi)
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Les Orties sont aussi disponibles à la GALERIE T. ROOM et chez LAMBERT & COLSON.
Morceaux choisis :
#1. LE CHEMIN
C’est toujours par là qu’on s’échappe. Quand la maison est pleine de monde, on monte à droite derrière le bureau, on dépasse le potager et on prend à gauche devant le vieux poirier. À la fin de l’été, il faut faire attention aux fruits écrasés à terre qui font le bonheur des guêpes. Le chemin est là. Il va vers le verger, vers la vigne, vers les champs alentour. D’un côté, on domine la vallée et la route en contrebas, de l’autre s’étend une prairie de hautes herbes où chacun dans ses premières années aimait à jouer à se perdre.
En cette magnifique journée de Juin, tous les cousins se sont retrouvés là. L’école n’est pas finie pourtant, mais le grand-père est mort. Brutalement. Aucun d’eux n’a vraiment compris ce qui s’était passé. Chacun a considéré qu’il était vieux et que c’est généralement ce qui arrive aux personnes âgées. Il y a plein de gens qui se pressent dans la cour pour lui rendre un dernier hommage et saluer sa descendance. Il faut dire bonjour à tous et se laisser embrasser. Au début, les enfants se sont mis au diapason de la tristesse de leurs ainés. Mais petit à petit, un regard, un geste, un sourire, puis un fou rire : on les a invités à aller faire un tour. Et les voilà, tous les sept, sur le chemin. Derrière eux, la maison endeuillée, devant, le vert tendre du ruban d’herbe, le bleu éclatant du ciel et le rouge pointilliste des cerises. L’air est léger, le soleil au zénith. Ils courent jusqu’au cerisier et se glissent sur ses branches. De là-haut, ils se jettent sur les fruits mûrs gorgés de vie. En temps normal, c’est un plaisir policé, sinon interdit. Mais aujourd’hui, personne n’est là pour leur rappeler ni qu’il convient d’en cueillir pour le dessert, ni que ça fait mal au ventre. Alors, à défaut de panier, ils s’empiffrent longtemps, entre leurs rires étouffés par le bruissement des feuilles, passant d’une branche à l’autre, là où les fruits les guident. Bien plus tard, on les trouvera dans les branchages et on leur intimera sans un mot d’abandonner leur festin. À leur retour à la maison, philosophe, la sœur du défunt balaiera leur culpabilité d’un sourire : « Lui aussi aimait Le Temps des Cerises ! »
C’est toujours par là qu’on s’échappe. Quand la maison est pleine de monde, on monte à droite derrière le bureau, on dépasse le potager et on prend à gauche devant le vieux poirier. À la fin de l’été, il faut faire attention aux fruits écrasés à terre qui font le bonheur des guêpes. Le chemin est là. Il va vers le verger, vers la vigne, vers les champs alentour. D’un côté, on domine la vallée et la route en contrebas, de l’autre s’étend une prairie de hautes herbes où chacun dans ses premières années aimait à jouer à se perdre.
En cette magnifique journée de Juin, tous les cousins se sont retrouvés là. L’école n’est pas finie pourtant, mais le grand-père est mort. Brutalement. Aucun d’eux n’a vraiment compris ce qui s’était passé. Chacun a considéré qu’il était vieux et que c’est généralement ce qui arrive aux personnes âgées. Il y a plein de gens qui se pressent dans la cour pour lui rendre un dernier hommage et saluer sa descendance. Il faut dire bonjour à tous et se laisser embrasser. Au début, les enfants se sont mis au diapason de la tristesse de leurs ainés. Mais petit à petit, un regard, un geste, un sourire, puis un fou rire : on les a invités à aller faire un tour. Et les voilà, tous les sept, sur le chemin. Derrière eux, la maison endeuillée, devant, le vert tendre du ruban d’herbe, le bleu éclatant du ciel et le rouge pointilliste des cerises. L’air est léger, le soleil au zénith. Ils courent jusqu’au cerisier et se glissent sur ses branches. De là-haut, ils se jettent sur les fruits mûrs gorgés de vie. En temps normal, c’est un plaisir policé, sinon interdit. Mais aujourd’hui, personne n’est là pour leur rappeler ni qu’il convient d’en cueillir pour le dessert, ni que ça fait mal au ventre. Alors, à défaut de panier, ils s’empiffrent longtemps, entre leurs rires étouffés par le bruissement des feuilles, passant d’une branche à l’autre, là où les fruits les guident. Bien plus tard, on les trouvera dans les branchages et on leur intimera sans un mot d’abandonner leur festin. À leur retour à la maison, philosophe, la sœur du défunt balaiera leur culpabilité d’un sourire : « Lui aussi aimait Le Temps des Cerises ! »
#2. NUIT AMÈRE
Se construire au hasard. Se laisser porter. Laisser faire. À tort ou à raison. Faire le petit bouchon au gré de l’eau. Les fées qui se penchent parfois sur les jeunes années sont soudain trop chahutées pour poursuivre. Et dans l’ignorance, ne pas tenter de résister aux bifurcations induites par le chaos du courant. Les provoquer plutôt. Envie. Ennui. Convoquer le destin. Partir. Aspirer à d’autres cieux, plus vastes, plus propres à nourrir l’ambition. Tout bousculer, tout renverser pour que quelque chose arrive enfin. Pour que l’ennui cesse. Comme si être là, ailleurs, suffisait. Et puis comprendre, bien plus tard, qu’être là passe par être et qu’être se construit, se travaille, dans la volonté et l’effort de devenir. Regretter. Rester alors à contempler la lumière de l’autre côté du mur.
Se construire au hasard. Se laisser porter. Laisser faire. À tort ou à raison. Faire le petit bouchon au gré de l’eau. Les fées qui se penchent parfois sur les jeunes années sont soudain trop chahutées pour poursuivre. Et dans l’ignorance, ne pas tenter de résister aux bifurcations induites par le chaos du courant. Les provoquer plutôt. Envie. Ennui. Convoquer le destin. Partir. Aspirer à d’autres cieux, plus vastes, plus propres à nourrir l’ambition. Tout bousculer, tout renverser pour que quelque chose arrive enfin. Pour que l’ennui cesse. Comme si être là, ailleurs, suffisait. Et puis comprendre, bien plus tard, qu’être là passe par être et qu’être se construit, se travaille, dans la volonté et l’effort de devenir. Regretter. Rester alors à contempler la lumière de l’autre côté du mur.
#3. LE COUTEAU DE CUISINE
Le reflet de sa lame luisante attira immédiatement son regard. Comme un appel. Elle s’approcha à tâtons du plan de travail et identifia tout de suite le petit couteau de cuisine de sa mère. Sa lame pointue, longue et fine qu’enserrait un manche de bois rond, chaud et sombre. Un couteau à tout faire en somme. C’est fou comme il lui évoquait sa mère. Efficace, pratique, intelligent. Pointu et rond, froid et chaud à la fois. Il était son hyper-activité et ses accès d’humeurs. Il disait comment elle remplissait ses journées à s’occuper de tout, à prendre soin de tous, dans un souci de perfection tellement aiguisé qu’il faisait sourdre dans la maison une tension extrême, palpable, acérée. Il disait comment elle avait le don de concentrer toute son énergie vitale (et Dieu sait qu’elle en avait) pour rassurer, embrasser, aimer et asséner soudain, tel un couperet, un reproche, un regard, une onde même, qui réduisait à néant. Le petit couteau était là, posé sur le plan de travail. Pointu et rond, froid et chaud à la fois. Il était sa mère et son insondable besoin d’être utile et de vous le faire payer.
Le reflet de sa lame luisante attira immédiatement son regard. Comme un appel. Elle s’approcha à tâtons du plan de travail et identifia tout de suite le petit couteau de cuisine de sa mère. Sa lame pointue, longue et fine qu’enserrait un manche de bois rond, chaud et sombre. Un couteau à tout faire en somme. C’est fou comme il lui évoquait sa mère. Efficace, pratique, intelligent. Pointu et rond, froid et chaud à la fois. Il était son hyper-activité et ses accès d’humeurs. Il disait comment elle remplissait ses journées à s’occuper de tout, à prendre soin de tous, dans un souci de perfection tellement aiguisé qu’il faisait sourdre dans la maison une tension extrême, palpable, acérée. Il disait comment elle avait le don de concentrer toute son énergie vitale (et Dieu sait qu’elle en avait) pour rassurer, embrasser, aimer et asséner soudain, tel un couperet, un reproche, un regard, une onde même, qui réduisait à néant. Le petit couteau était là, posé sur le plan de travail. Pointu et rond, froid et chaud à la fois. Il était sa mère et son insondable besoin d’être utile et de vous le faire payer.
#4. UN LIEU À ELLE
Des mois, des années, qu’elle essayait d’écrire. Elle avait commencé par touches. Des petits textes çà et là, sur le coin d’une table. Dans sa chambre, sur le petit bureau marqueté. Dans la salle de jeux des enfants, sur le plan de travail. Jamais en revanche sur le bureau du salon qui servait uniquement à la paperasse administrative. Elle écrivait bien aussi au Pays Basque, sur le bureau de son beau-père. Surtout la nuit. Quand tout le monde avait regagné son lit et que le silence s’installait enfin. Impossible pourtant de se consacrer à quelque chose de plus long. Impossible aussi d’abandonner en cours son ouvrage pour le retrouver plus tard. À chaque fois, il fallait plier, ranger, débarrasser pour tout re-déballer ensuite. Stylos, cahiers, papier, livres, ordinateur. Toujours sur le qui-vive, elle se posait où elle pouvait, sans véritable lieu à elle. Au début, elle en avait plaisanté. Mais, petit à petit, le manque avait grandi pour devenir une obsession. Une humiliation. Elle avait toujours fait le nécessaire pour que ses enfants aient chacun une chambre à eux, avec un bureau, pour qu’ils puissent y travailler. Leur père, lui, avait son atelier vitré muni de portes et de rideaux lui permettant de s’isoler. Mais elle ? Rien. Elle se contentait des petits espaces ouverts que l’agencement de la maison en « open-space » voulait bien lui laisser, s’attendant à tout moment à y être interrompue par les uns ou par les autres. Elle pensait à Jane Austen qui dût s’accommoder de son salon et de ses va-et-vient et ce jusqu’à la fin de sa vie. Elle pensait à Virginia Woolf aussi, pour qui « une femme doit avoir un lieu à elle si elle veut écrire » et l’absence de ce lieu à elle n’en était que plus présente.
Des mois, des années, qu’elle essayait d’écrire. Elle avait commencé par touches. Des petits textes çà et là, sur le coin d’une table. Dans sa chambre, sur le petit bureau marqueté. Dans la salle de jeux des enfants, sur le plan de travail. Jamais en revanche sur le bureau du salon qui servait uniquement à la paperasse administrative. Elle écrivait bien aussi au Pays Basque, sur le bureau de son beau-père. Surtout la nuit. Quand tout le monde avait regagné son lit et que le silence s’installait enfin. Impossible pourtant de se consacrer à quelque chose de plus long. Impossible aussi d’abandonner en cours son ouvrage pour le retrouver plus tard. À chaque fois, il fallait plier, ranger, débarrasser pour tout re-déballer ensuite. Stylos, cahiers, papier, livres, ordinateur. Toujours sur le qui-vive, elle se posait où elle pouvait, sans véritable lieu à elle. Au début, elle en avait plaisanté. Mais, petit à petit, le manque avait grandi pour devenir une obsession. Une humiliation. Elle avait toujours fait le nécessaire pour que ses enfants aient chacun une chambre à eux, avec un bureau, pour qu’ils puissent y travailler. Leur père, lui, avait son atelier vitré muni de portes et de rideaux lui permettant de s’isoler. Mais elle ? Rien. Elle se contentait des petits espaces ouverts que l’agencement de la maison en « open-space » voulait bien lui laisser, s’attendant à tout moment à y être interrompue par les uns ou par les autres. Elle pensait à Jane Austen qui dût s’accommoder de son salon et de ses va-et-vient et ce jusqu’à la fin de sa vie. Elle pensait à Virginia Woolf aussi, pour qui « une femme doit avoir un lieu à elle si elle veut écrire » et l’absence de ce lieu à elle n’en était que plus présente.