Sèverine Harzo

Journaliste et autrice

Francesco Pergolesi, Rue des boutiques éclairées, imagestory.fr, 2015


Heroes
Francesco Pergolesi
Galerie Huit, Arles 2015



J’ai rencontré Francesco Pergolesi à la Galerie Huit, en Arles, alors qu’il y était en résidence. Il y travaillait sur un nouveau projet encore en gestation autour de la personnalité singulière de la maîtresse des lieux, Julia de Bierre. Le temps des Rencontres, Julia lui avait permis d’exposer les clichés d’une autre partie de son travail intitulée “Heroes“, une promenade dans la ruelle virtuelle de ses souvenirs d’enfance...

Après la succession des expositions du parcours officiel, la plupart du temps en grand (voire très grand) format, la petite taille des photographies exposées là interpellait. Tels des tableaux miniatures, les mille et un détails finement mis en scène et en lumière invitaient à se pencher sur eux, à les scruter presqu’à la loupe. Si mon souvenir est exact (ce dont je doute parfois), un des tirages, posé comme dans une boîte sur une table, était effectivement assorti d’une loupe. Je suis restée longtemps penchée sur cette image bercée par l’accent italien de Francesco qui m’expliquait sa démarche et la petite histoire de ses “Heroes“.

Quand il était petit, les parents de Francesco lui laissaient librement arpenter les rues du village qu’il habitait. Il se rappelle de la petite boutique du cordonnier avec qui il aimait passer le temps simplement à discuter ou de celle de l’épicier chez qui il faisait les courses avec sa grand-mère... La rue était son terrain de jeu, son école de la vie. Le temps semblait dilaté et rimait avec amitié et liberté. Depuis, il a gardé une affection particulière pour les quartiers populaires, ces lieux de vie centrés autour de l’humain, des lieux de rencontres qui lentement s’effacent et disparaissent, poussés par une nouvelle ère. Il devenait urgent d’en immortaliser quelques uns et de rendre hommage à ces petits métiers de proximité qui vont bientôt s’éteindre.

Il ne s’agit pas d’un travail de documentation, ni même d’un reportage. Francesco pose simplement le regard de l’enfant qu’il a été au hasard de ses promenades entre le Sud de la France, l’Italie et la Grèce. Il laisse le charme agir. Il n’y a pas de règles, pas de critères, pas de nomenclature. “C’est comme avec une femme, dit-il, il y a un coup de foudre et soudain, je sais que c’est là“. Ensuite, il tourne autour du lieu et apprend à mieux connaitre celui ou celle qui l’habite. Cela peut prendre beaucoup de temps, parfois des semaines, avant que tout soit en place et que vienne enfin le jour où il pourra sortir sa chambre pour prendre une seule photo. À la tombée de la nuit, juste au moment où la mesure de la lumière est la même au dedans comme au dehors. Le clic-clac dure entre 2 et 3 minutes.

Il faut être attentif. Et c’est là que la loupe est utile ! Les héros du quotidien de Francesco en cachent souvent d’autres bien plus célèbres. À la manière d’un Jeff Wall qui s’inspirait des peintures classiques, lui fait référence à la mythologie grecque ou à l’imagerie religieuse. Derrière la vitrine, on trouve un Apollon appuyé sur sa lyre; Pénélope coud à l’étage, penchée sur son ouvrage; Daphné, les bras levés, semble prête à se changer en laurier rose et la madone berce une cagette de légumes comme un enfant Jésus. Mais les références de Francesco ne s’arrêtent pas là. Il parle des livres d’Andrea Camilleri, du cinéma d’Aki Kaurismaki, de Truffaut, de Fellini... et beaucoup de sa grand-mère récemment disparue qui ressemblait à la vieille dame au regard perdu derrière la vitre de sa loge de concierge. Et moi, je l’ai invité à voir Le Ballon Rouge d’Albert Lamorisse. Je suis sûre que ça va lui plaire.