Sèverine Harzo

Journaliste et autrice

Delphine Warin, La peau de l’homme, imagestory.fr, 2014



Les barbiers du souk d’Ait-Ourir
La peau de l’homme
Delphine Warin, 2013



Delphine Warin vit entre le Maroc et la France. Depuis quelques années, elle aime aller flâner au Souk d’Aït Ourir à 40 km de Marrakech. Oublié des touristes, le souk est un lieu de rencontres où les hommes des montagnes alentour se retrouvent et font leur marché. À moins d’être vendeuse ou mendiante, les femmes ne s’y montrent pas. Au coeur du Souk, Delphine a découvert un quartier de barbiers fait de multiples échoppes, passages obligés où chacun s’abandonne un moment à la main armée du barbier.

Quand j’ai rencontré Delphine Warin, en 2012, elle portait un projet réalisé également au Maroc sur une équipe de toutes jeunes amazones qui, pour la première fois, avaient réussi à participer aux fameuses Fantasias marocaines. Dans les mois qui ont suivi, ses images ont été publiées dans de nombreuses éditions internationales du magazine pour lequek je travaillais. Depuis, nous sommes restées en contact et quelques jours avant Noël, de passage à Paris, Delphine m’a montré les photos qu’elle avait faîtes chez les barbiers du Souk d’Aït Ourir. Le sujet m’a intriguée par la féminité et la délicatesse de son regard, porté sur une population d’hommes que l’actualité nous montre d’habitude sous un jour plus conquérant, pour ne pas dire plus violent. Comment une femme, occidentale, avait elle réussi à s’approcher si près de ces hommes, à un moment de grande vulnérabilité ?

Delphine aime explorer l’intime. C’est ce qui me touche dans ses photos. Son objectif sonde les liens entre les êtres. Un de ses premiers projets s’appelait d’ailleurs “Liens“. Elle y contemplait les relations qui nous unissent les uns aux autres. Des portraits à deux: mère-fils, père-enfant, amants... En 2009, elle a publié chez Filigranes “Les yeux grands ouverts“, un livre de portraits de mères aveugles où elle s’efforce de révéler l’invisible et fragile lien qui unit ces mères à leurs enfants. Discrète, délicate, Delphine sait approcher son sujet, le mettre en confiance. Entre les murs des barbiers, elle a du plus que jamais faire preuve de patience, d’écoute et d’intelligence pour être acceptée dans un premier temps, puis autorisée à sortir son appareil photo.

Il lui aura fallu des mois, des visites régulières, répétées, inlassablement, pour parvenir à se fondre au milieu de tous ces hommes, pour parvenir à se faire oublier, à disparaître. Et puis il aura fallu une rencontre. Un des barbiers la laisse entrer et demeurer. Alors, tout doucement, elle lève son objectif et commence à shooter. De loin au début, dans un esprit plus reportage, elle photographie le lieu, les clients qui attendent, les gestes du barbier penché sur eux. Toujours elle demande à chacun s’il est d’accord et lui promet la photo comme un cadeau. Ceux qui acceptent se font de plus en plus nombreux. Plus tard, un jour de pluie, alors que la boue du Souk colle aux semelles et que chacun est enclin à se replier sur lui-même, elle s’approche encore un peu plus. Et le sujet bascule.

Delphine n’avait pas osé imaginer parvenir à être aussi proche. Elle réalise l’abandon que le passage chez le barbier impose à ces hommes. Les yeux mi-clos, le visage renversé, ils s’abandonnent aux mains expertes du barbier. À la fois fermes et tendres, elles enveloppent leur visage et tour à tour le maltraitent ou le flatent. À cet instant précis, ils sont fragiles, vulnérables. L’objectif rivé sur le grain de leur peau qui parfois saigne, Delphine y lit les affres de leurs existences arides dans les sillons que la vie y a creusés. Le décor du souk disparaît peu à peu. La peau seule demeure, momentanément mise à nu. Un moment d’émotion pure.