Sèverine Harzo

Journaliste et autrice

#7. UNE AUGUSTE COMPAGNIE


   
      Elle devait avoir cinq ou six ans. C’était l’été ou peut être le printemps. Les souvenirs sont ténus. Les images fugaces. Une petite route de campagne. Un hameau isolé. La porte fatiguée d’un jardin. Une vieille masure. Une grande pièce grise et sombre, garnie d’objets en tout genre. Beaucoup d’objets. Partout. Et de la poussière aussi. Beaucoup. La silhouette sombre d’une vieille femme un peu fantasque. Au fond, quelques marches en bois et une porte ouverte sur un lit défait dans la lumière. Retour au jardin. Un vieil homme élégant, portant canne et chapeau, avance, fragile, sur un étroit sentier.  Elle le suit puis glisse sa petite main agile et soyeuse dans la sienne raide et calleuse pour soutenir son pas hésitant. Il lui parle mais ses mots, portés par sa voix chevrotante, se sont effacés. Ils vont s’asseoir sur le frêle banc de bois posé tout contre la haie. Parfois, il sort un grand mouchoir blanc pour essuyer ses yeux agacés par le soleil, la brise et la poussière. Elle l’observe avec fascination. Sa peau burinée, ridée comme un paysage. Ses yeux noirs dans l’ombre de son chapeau. Sa longue barbe grise. Elle devrait en avoir peur. Et pourtant. Elle garde le souvenir intact de la douceur qui émanait de lui, de sa bienveillance et de la complicité de ces moments pour l’éternité silencieux. Plus tard, on lui dira quel personnage il fût : sa vie d’aventurier, les pays et les océans traversés, les adresses, les rencontres, les hauts, les bas... Avant que leurs vies ne se croisent, ici, sur le banc de bois délavé, au bord du jardin.