Sèverine Harzo

Journaliste et autrice

#6. UNE VIE DE COCAGNE


   
      Dans cette famille, on ne s’assied pas, ou peu. Très peu. Il faut aller, venir, faire, s’activer, se rendre utile. Alors un fauteuil… Un fauteuil, c’est un privilège réservé aux malades, aux anciens, à ceux qui s’éteignent. Dans la version originale de la maison, il n’y avait qu’un seul fauteuil, près de l’âtre de la cuisine, face à la télévision. L’arrière grand-mère en avait eu l’usage, puis le grand-père, la grand-mère, et enfin l’oncle. Pour les autres, une chaise suffisait pour y poser une fesse qui de toute façon n’y stationnait pas longtemps. Plus tard, quand la grange attenante avait été transformée en salon, on avait installé un petit canapé assorti d’un voltaire qui ne s’offraient aux séants familiaux qu’à Noël, parfois à Pâques. Essentiellement pour la conversation. La lecture y était bien trop hasardeuse, à coup sûr interrompue par une injonction à participer à la vie de la maisonnée. S’extraire de la ruche imposait une stratégie. Il fallait trouver un prétexte, falsifier la lecture en travail afin qu’elle soit approuvée. L’ériger au rang des devoirs de classe était le sésame. On pouvait alors disposer pour soi-seul de la salle à manger de la maison voisine, celle de la tante. Alors, nul, jamais, ne venait troubler le silence propice à la concentration. Mais là non plus, point de fauteuil, au coin du feu ou ailleurs, où se laisser glisser même seul, point de bouquins s’ouvrant d’eux-mêmes aux pages que l’on aime et qu’on relit sans fin… On y lisait assis, droit sur une chaise raide, à la grande table. Au travail.