Sèverine Harzo

Journaliste et autrice

#4. UN LIEU À ELLE


   
      Des mois, des années, qu’elle essayait d’écrire. Elle avait commencé par touches. Des petits textes çà et là, sur le coin d’une table. Dans sa chambre, sur le petit bureau marqueté. Dans la salle de jeux des enfants, sur le plan de travail. Jamais en revanche sur le bureau du salon qui servait uniquement à la paperasse administrative. Elle écrivait bien aussi au Pays Basque, sur le bureau de son beau-père. Surtout la nuit. Quand tout le monde avait regagné son lit et que le silence s’installait enfin. Impossible pourtant de se consacrer à quelque chose de plus long. Impossible aussi d’abandonner en cours son ouvrage pour le retrouver plus tard. À chaque fois, il fallait plier, ranger, débarrasser pour tout re-déballer ensuite. Stylos, cahiers, papier, livres, ordinateur. Toujours sur le qui-vive, elle se posait où elle pouvait, sans véritable lieu à elle. Au début, elle en avait plaisanté. Mais, petit à petit, le manque avait grandi pour devenir une obsession. Une humiliation. Elle avait toujours fait le nécessaire pour que ses enfants aient chacun une chambre à eux, avec un bureau, pour qu’ils puissent y travailler. Leur père, lui, avait son atelier vitré muni de portes et de rideaux lui permettant de s’isoler. Mais elle ? Rien. Elle se contentait des petits espaces ouverts que l’agencement de la maison en « open-space » voulait bien lui laisser, s’attendant à tout moment à y être interrompue par les uns ou par les autres. Elle pensait à Jane Austen qui dût s’accommoder de son salon et de ses va-et-vient et ce jusqu’à la fin de sa vie. Elle pensait à Virginia Woolf aussi, pour qui « une femme doit avoir un lieu à elle si elle veut écrire » et l’absence de ce lieu à elle n’en était que plus présente.