Sèverine Harzo

Journaliste et autrice

#27. ÉCRIRE ENCORE



    On en était là. Après tout ce temps passé, toutes ces années égrainées, l’une après l’autre, chaque fois plus sombre que la précédente, dans la machine à broyer qu’était devenu son job. Parce que c’était ça. Exactement ça. Un poids lourd, toujours plus oppressant, où la logique budgétaire s’était sournoisement installée, rétrécissant les cases, contractant les vies, étriquant les esprits, étranglant l’espoir, asséchant l’envie… Jusqu’au néant. Jusqu’au rien. Elle avait ressentie ça, à la fin, le rien. Le sentiment sourd de ne plus être rien. C’était venu après. Après qu’elle se soit convaincue d’illusions. Que c’était un passage, que c’était pour le meilleur, que tout allait s’arranger. Et surtout, surtout, que seule, elle, avec ses petits bras et sa bonne volonté, elle allait y arriver. Suffisance. Vanité. Orgueil. Elle était allée au front, comme un bon petit soldat. Elle était allée au fond plutôt. Elle s’y était collée, elle s’y était engluée, jusqu’à l’étouffement. Noyée. Pourtant, tout au long de cette noirceur abjecte et nauséeuse, furieusement accrochée à la seule bouée qu’elle avait pu arracher du tréfonds d’elle-même, elle avait réussi à ranimer des petites incandescences, comme des balises. Des petits textes qui la racontaient, qui la reconstituaient, comme les pièces d’un puzzle. Et la lumière ténue des images qui pavaient le chemin. Le chemin jusqu’au refus. Refus d’accepter. Refus de gober. Refus d’avancer. Refus d’aller plus loin, là-bas, tout au bout du rien. Arrêter. Arrêter de jouer. Arrêter de faire comme si. Arrêter de respirer. Arrêter de vivre. Elle y avait pensé. Ça lui avait fait peur cette pensée. Alors elle avait continué à écrire.