Sèverine Harzo

Journaliste et autrice

#26. UNES



    Elles sont deux. Une fillette et une femme. La petite est dans l’ombre, debout, les bras recroquevillés sur un ours en peluche gris qu’elle serre fort contre elle, y enfouissant son visage dont seuls les yeux noirs apeurés émergent de la masse de poils cendrés. Elle a les cheveux très courts. On la prendrait facilement pour un garçon si ce n’était sa tenue. Très menue, elle porte un t-shirt et un short en éponge vieux rose gansé de fines rayures blanches. Ses pieds sont nus dans des Start Rite en cuir blanc ajouré.
La femme, elle, est de dos, dans la lumière, au milieu d’un champ de hautes herbes claires blondies par l’été déjà avancé. Elle incline ses cheveux courts grisonnants en arrière, tend son visage vers le ciel, et sourit au soleil. Sa longue robe caftan bleu marine flotte autour de ses jambes bronzées au-dessus de fines tropéziennes couleur de miel. À son épaule, un cabas souple de cuir bordeaux. Elle se retourne vers l’enfant et lui tend la main, l’invitant à la rejoindre. Ses paroles se perdent dans le vent léger mais l’enfant comprend l’invitation et baisse lentement l’ours gris tendant son petit corps vers la lumière. Maintenant, on voit qu’elle a pleuré. Ses yeux sont humides et ses paupières rougies. Elle hésite. L’adulte insiste, lui sourit encore et fait un pas vers elle. « Viens ! »
Alors, tout doucement, l’enfant sort de l’ombre et, d’un pas hésitant, agrippée à son jouet, traverse la forêt d’herbes pour rejoindre son ainée qui s'accroupit et l'entoure de ses bras nus. Elles restent ainsi un moment, enlacées dans la lumière, partiellement dissimulées par la danse des herbes folles. La femme prend le visage de l’enfant dans ses mains, lui chuchote des douceurs, l’embrasse. Enfin, elle se relève, sa main glisse vers celle de la petite et, ainsi liées, côte à côte, leurs silhouettes s’éloignent et s’effacent en vibrant dans la lumière. Leur conversation virevolte un temps, ponctuée de rires légers, puis s’éteint peu à peu elle aussi, cédant la place au murmure du vent sur la prairie brûlante.