Sèverine Harzo

Journaliste et autrice

#21. MÉFIE-TOI


 
    Voilà, c’était fait. Cette matinée ensoleillée du mois d’Août l’avait rendue légalement adulte. Pendant ces dix huit dernières années, elle avait été abreuvée de conseils. Elle en avait suivi certains, elle en avait rejeté beaucoup, préférant souvent et très tôt faire l’expérience par elle-même. Aujourd’hui, évidemment, c’était particulièrement symbolique, sa mère avait voulu lui faire la plus importante des recommandations. Elle la lui avait écrite même pour qu’elle ne l’oublie pas.
Elle avait écrit que l’année passée, elle était tombée par hasard sur un livre de Véronique Ovaldé : « Soyez imprudents les enfants ». Que le titre l’avait interpellée et ce d’autant plus qu’en lisant la dernière de couverture, elle avait compris que c’était le principal conseil donné aux enfants d’une famille au moment de quitter le nid. Elle lui disait que dans sa famille à elle, le conseil qu’elle avait le plus entendu, en patois occitan, lorsqu’elle était enfant, puis adolescente, et même adulte, c’était plutôt : « Mefia te de te mefia » (Méfie-toi de te méfier). Qu’elle avait souvent interrogé cette formulation pour savoir si la seconde injonction de méfiance annulait la première. Ou vice versa. Que c’était une probabilité mais que pourtant, il lui semblait bien n’en avoir retenue qu’une : « Méfie-toi ! » De tout. De toi. Des autres. Du loup… Elle disait qu’avec ses cousins, ils avaient l’habitude d’en rire. Qu’ils parlaient du « pétrin noir » en référence à leur héritage de « croquant » du Périgord Noir. Mais qu’au fil des années, les rires s’étaient tus. Davantage encore depuis qu’elle était devenue mère. Et que la peur était devenue sa plus fidèle compagne. Et sa plus grande peur, celle de la lui avoir transmise.
Que c’était pour cela, qu’aujourd’hui, elle voulait lui dire, lui écrire, noir sur blanc, pour qu’elle l’entende, qu’elle le lise, qu’elle le visualise, qu’elle s’en imprègne : qu’elle ne devait pas avoir peur. Qu’il fallait dépasser ces peurs ancestrales, vivre dangereusement et profiter de tout ce que la vie pouvait apporter de rencontres et d’expériences. Qu’elle était si belle et si vaste. Elle lui disait d’accepter la grande aventure d’être elle-même. Sous le marrainage de Simone de Beauvoir et d’Anaïs Nin.
C’est ainsi qu’elle lui avait souhaité cet anniversaire-là, avec tout son amour.