Sèverine Harzo

Journaliste et autrice

#18. SYLLOGOMANIA


   
      Ça avait commencé quand ce besoin de remplir le vide ? On avait du mal à le situer. Une zone floue entre l’éloignement de sa sœur cadette et la disparition des grands-mères. Ou peut être même avant. Oui avant. La collection de Ferrari miniatures qui remplissait les buffets du bureau, c’était avant. Les promotions dont il profitait sans cesse aussi, ramenant des quantités d’objets de piètre qualité qu’il n’utilisait jamais. Après, évidemment ça ne s’était pas arrangé. Surtout depuis que la maison familiale s’était vidée de ses occupants et qu’on ne s’y retrouvait plus qu’aux vacances. Lui avait décidé de s’y installer et d’occuper l’espace laissé vacant. Tout l’espace. Il avait même pris l’habitude d’aller régulièrement à la déchèterie. Pas pour jeter. Non. Pour récupérer. Ce que les autres jetaient. Ce que les autres jugeaient inutile, insignifiant, stérile. Au début, il avait prétexté vouloir récupérer des pièces pour réparer la tondeuse et il avait aligné les machines défectueuses sous l’abri à côté du garage. Puis ça avait été les tronçonneuses et les vélomoteurs. Et finalement, il n’avait plus eu besoin de prétexte. Il avait fait ami-ami avec le responsable de la déchèterie et il récupérait tout. Il avait du étendre son domaine de stockage au reste de la maison qui se remplissait un peu plus chaque jour. Il éprouvait de la tendresse pour tous ces objets abandonnés. Mis au rebut, comme lui. Ils se ressemblaient. C’était comme une nouvelle famille. C’était ses trésors et il avait le pouvoir de les multiplier. Alors bien sûr, ses sœurs étaient furieuses et passaient le peu de temps où elles venaient sur place à trier et à faire le chemin inverse du sien. Ça le rendait fou et le plongeait dans des abimes de colère et de douleur. Sa seule satisfaction était de rendre leur séjour insupportable. Au fond de lui, il savait qu’il était gagnant. Il pourrait recommencer plus souvent qu’à leur tour.