Sèverine Harzo

Journaliste et autrice

#17. DE PLUIE ET DE LARMES


   
      Elle ne savait plus trop pourquoi, ce soir-là, elle avait tourné les talons et claqué la porte. C’était une pratique familiale très usitée qu’elle s’était pleinement appropriée. Elle avait fait depuis, fort heureusement, de gros progrès. Mais à l’époque, lorsque l’émotion devenait impossible à dominer et que les larmes affleuraient, la fuite s’imposait comme unique issue. Ce soir-là donc, sans qu’aucun des membres de l’assistance n’y prenne garde, elle s’était brusquement éclipsée. Pas un, elle en était certaine, n’avait pu identifier la cause de sa soudaine retraite. Elle-même aujourd’hui était bien incapable de s’en souvenir. Sa mémoire n’avait retenu de cet épisode que l’émotion générée. La colère d’abord. Résultat d’un manque d’attention ou d’égard. La jalousie, ensuite. Et enfin, toujours, le sentiment d’abandon, d’isolement. Elle était redevenue la petite fille adorée, adulée, qui nulle part hors de chez elle ne parvenait à susciter l’attention à laquelle ses parents l’avaient habituée. Elle avait donc pris la mouche et, vexée, s’en était allée. Dehors, il pleuvait. Et quoi de mieux que la pluie pour dissimuler les larmes ? La voilà donc tête nue, la musique à fond dans les écouteurs de son walkman, battant en rythme le pavé parisien. Marcher ainsi au pas cadencé l’apaisait. Paris la nuit sous la pluie la ravissait. L’asphalte inondée devenait miroir et la ville redoublait de lumière. Ruisselante de pluie et de larmes, elle avait noyé ses émotions dans les flaques d’eau avec, tout au fond d’elle-même, une certaine jouissance. La durée de l’exercice demeurait inconnue mais l’issue l’avait trouvée épuisée, vidée, et enrhumée, sous la douche. Le sommeil qui s’en était suivi n’avait pas suffit à adoucir ses yeux rougis et bouffis de larmes, témoins éphémères de son escapade détrempée.