Sèverine Harzo

Journaliste et autrice

#16. LETTRE DE L’INTERNAT


   
      L’enveloppe est bleue. Dans le coin gauche, une date est inscrite au stylo bille noir: « 8.10.1920 » suivie de cette annotation: « ma première lettre d’Excideuil ». Et puis plus loin: « Entrée en retard. On attendait la bourse. Elle a été de moitié ». À l’intérieur, une fine feuille jaunie, quadrillée, un peu plus petite qu’un demi A4, pliée en son milieu. Le texte est écrit à l’encre violette et se déploie sur les quatre petites pages pliées, comme un carnet. On comprend qu’il a fallu plusieurs heures pour rejoindre le collège en voiture à cheval. La jeune fille s’y inquiète d’abord pour ses parents, puis pour l’animal, qui ont du faire le voyage retour après l’avoir laissée à l’internat. Elle dit que l’année scolaire est déjà commencée. Alors on relie les informations de l’enveloppe à celles que l’on sait : le certificat d’études reçu au tout début de l’été, la bourse versée tardivement et ne couvrant que la moitié des frais de scolarisation, les difficultés du père pour réunir le complément. Elle dit se sentir toute nouvelle au milieu des autres élèves qui ont eu le temps de faire connaissance, de trouver leurs marques. Elle dit qu’elles se montrent plutôt très gentilles avec elle, mais que de toute façon, le rythme de la pension est soutenu, qu’elles n’ont pas encore eu le temps de se chamailler. Elle raconte les journées. Le réveil à sept heures avec l’obligation pour chacune de faire sa toilette et son lit avant de descendre au réfectoire pour déjeuner d’un grand bol de café au lait. Les cours, de huit heures du matin jusqu’au soir, seulement interrompus par les récréations et le repas de midi où on leur sert un menu frugal, le même que le soir, fait d’une soupe et d’une portion de viande ou de légumes. Le quatre heures, où elles reçoivent un morceau de pain. À elles de l’agrémenter d’une collation. Elle confie avoir pris l’habitude de glisser le matin un morceau de chocolat dans la poche de sa blouse car elle ne peut garder avec elle tout le jour le petit pot de confiture que sa mère a caché dans sa malle. Et comme elle n’a pas le droit de remonter au vestiaire avant le soir, elle demande qu’on lui fournisse un petit panier à provisions avec un cadenas qu’elle puisse laisser dans son casier. Elle parle de son linge qu’il faudra marquer, à son retour, à Noël. Elle se veut rassurante. Sa nouvelle vie lui convient assez bien. Elle redoute seulement l’heure de l’étude. Elle n’a jamais travaillé comme ça auparavant, ainsi livrée à elle même. Elle se plaint mollement que certaines filles y sont très distraites et font bien autre chose que d’étudier. Elle craint de ne pas travailler comme elle le doit. Et puis il y a l’anglais. Elle n’en a jamais fait. Elle est très en retard. Il lui faudra un autre manuel, en complément, plus basique. Elle dit enfin que le soir, après le diner, les jeunes filles se regroupent autour du piano où on les laisse chanter et danser avant qu’elles ne regagnent le dortoir en silence. On leur a annoncé un café-concert pour le dimanche suivant. Elle dit qu'il lui tarde.