Sèverine Harzo

Journaliste et autrice

#1. LE CHEMIN



    C’est toujours par là qu’on s’échappe. Quand la maison est pleine de monde, on monte à droite derrière le bureau, on dépasse le potager et on prend à gauche devant le vieux poirier. À la fin de l’été, il faut faire attention aux fruits écrasés à terre qui font le bonheur des guêpes. Le chemin est là. Il va vers le verger, vers la vigne, vers les champs alentour. D’un côté, on domine la vallée et la route en contrebas, de l’autre s’étend une prairie de hautes herbes où chacun dans ses premières années aimait à jouer à se perdre.
En cette magnifique journée de Juin, tous les cousins se sont retrouvés là. L’école n’est pas finie pourtant, mais le grand-père est mort. Brutalement. Aucun d’eux n’a vraiment compris ce qui s’était passé. Chacun a considéré qu’il était vieux et que c’est généralement ce qui arrive aux personnes âgées. Il y a plein de gens qui se pressent dans la cour pour lui rendre un dernier hommage et saluer sa descendance. Il faut dire bonjour à tous et se laisser embrasser. Au début, les enfants se sont mis au diapason de la tristesse de leurs ainés. Mais petit à petit, un regard, un geste, un sourire, puis un fou rire : on les a invités à aller faire un tour. Et les voilà, tous les sept, sur le chemin. Derrière eux, la maison endeuillée, devant, le vert tendre du ruban d’herbe, le bleu éclatant du ciel et le rouge pointilliste des cerises. L’air est léger, le soleil au zénith. Ils courent jusqu’au cerisier et se glissent sur ses branches. De là-haut, ils se jettent sur les fruits mûrs gorgés de vie. En temps normal, c’est un plaisir policé, sinon interdit. Mais aujourd’hui, personne n’est là pour leur rappeler ni qu’il convient d’en cueillir pour le dessert, ni que ça fait mal au ventre. Alors, à défaut de panier, ils s’empiffrent longtemps, entre leurs rires étouffés par le bruissement des feuilles, passant d’une branche à l’autre, là où les fruits les guident. Bien plus tard, on les trouvera dans les branchages et on leur intimera sans un mot d’abandonner leur festin. À leur retour à la maison, philosophe, la sœur du défunt balaiera leur culpabilité d’un sourire : « Lui aussi aimait Le Temps des Cerises ! »